stella pace
Du mardi 14 février au samedi 18 mars 2017
Vernissage le jeudi 16 février à 17h30
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Exposition habiter le monde
Notes de Gabrielle Desgagné-Duclos
Visible un mois durant à partir de février 2017, Habiter le monde constitue pour la sculpteur, peintre et graveur Stella Pace une seconde occasion depuis l’exposition Têtes en devenir (2009) de présenter son travail en estampe à l’Atelier-Galerie A. Piroir. L’artiste y propose un corpus inédit qui regroupe deux œuvres grand format — une longue frise monochromatique noire sur papier japon et un dessin au bâton à l’huile et crayon de plomb — ainsi qu’un diptyque mélangeant estampe, collage et peinture et plusieurs pièces d’une série de petites collagraphies et pastel gras sur papier noir.
À huit étages au-dessus de la rue, bien en retrait du mouvement qui anime les espaces de diffusion situés en bas, avenues Casgrain et de Gaspé, l’Atelier-Galerie A. Piroir offre aux artistes en estampe actuelle un cadre unique d’exposition. Accrochées dans l’espace même de travail des maîtres graveurs et des artistes qui fréquentent l’atelier, les œuvres s’y regardent en contexte, dans un côtoiement bienvenu avec les presses. Lieu de création et d’apprentissage, l’Atelier-Galerie est avant tout un espace vivant, habité, qui incarne bien l’approche artistique de Stella Pace, à l’opposé de la culture des apparences, honnête, ancré dans le faire et le senti.
L’exposition donne à voir le développement récent du travail sur papier de Stella Pace, qui paraît s’accomplir en cohérence avec sa production sculpturale antérieure, fortement marquée par la série sur bases de béton Peoples (2000-2015). Par la répétition d’un motif — le plus souvent forme humaine — à chaque fois singularisé par son exécution automatiste, l’effet d’accumulation expose, pour ainsi dire, la condition individuelle de l’existence humaine. Accomplissant son travail plastique par séries, l’artiste accumule, sélectionne, reprend et retravaille les motifs, les idées, les techniques ou les œuvres elles-mêmes, réalisant de la sorte une œuvre-trace où les pièces transpirent l’énergie investie dans leur création.
Depuis une dizaine d’années, le travail que Stella Pace consacre à l’estampe, bien qu’il s’accompagne du ralentissement de sa production en sculpture, conserve cet intérêt pour les méthodes déjà employées du collage et de l’assemblage. L’artiste approche couramment l’élément d’impression comme une œuvre en soi (et l’expose parfois comme telle, avec ou sans altération). Ses tirages, quant à eux, surtout des éditions limitées, sont le plus souvent appelés à devenir la matière de base pour un nouveau travail de construction, pictural ou installatif. Ainsi, l’impression est loin d’être une finalité pour Stella Pace, qui place le processus même de l’estampe au centre d’une exploration sculpturale.
Récemment, une résidence de formation à l’Atelier Graff lui a aussi donné envie d’investiguer davantage les possibilités du numérique — ce dont témoigne l’œuvre Un monde en soi (2016), une composition numérique réalisée en collaboration avec Claude Fortaich et imprimée en un seul exemplaire sur papier d’Arches. Fruit d’un travail considérable, l’œuvre réunit, dans une grille de plus de deux mètres de longueur, 154 estampes individuelles représentants des visages sombres, sur lesquels l’artiste est intervenue au bâton à l’huile rouge écarlate comme pour les annoter, en souligner les traits d’expression ou en matérialiser la force vitale1.
Hypnotique, Un monde en soi découle d’une approche plus systématique de la composition all over, plus méthodique que ce à quoi l’artiste nous a surtout habitué, à l’exemple du grand dessin Oppression exposé chez Piroir. Ces deux œuvres, grille ordonnée et réseau de lignes chaotique, engagent cependant à une conception de l’espace semblable, qui n’est pas sans rappeler les compositions plurifocales de Jean Dubuffet (1901-1985) — un plasticien que l’artiste affectionne et dont l’œuvre tardive s’organise en phases selon un traitement de plus en plus nihiliste de l’espace de représentation, avec les « psycho-sites », les « sites aléatoires », les « mires » et les « non-lieux ».
Qu’ils évoluent dans un espace monochromatique noir, flottent sur le blanc du papier sali par les essuyages de la plaque d’impression, ou dans un enchevêtrement de lignes qui rapproche dans une même image des scènes éloignées, les personnages de Stella Pace habitent des paysages évanescents, emplis des vertiges que nous y projetons. Ces « réfugiés » appartiennent au monde et le monde fait partie d’eux ; lorsqu’ils ne sont pas carrément construits de béton, de fer et de paille, ils ont sur papier cette même apparence d’être faits de la matière du monde, d’être formés de la terre.
Dans un langage plastique toujours empreint de primitivisme, Habiter le monde permet à Stella Pace de poursuivre sa méditation autour de la figure humaine et de la thématique migratoire, en ajoutant à son lexique iconographique l’image de la maison — motif nouveau qui fait ici une apparition toute naturelle. Rappelant les constructions traditionnelles des civilisations anciennes, le carré simple de chacune est un univers clos à quatre dimensions, modelé à l’image de celui qui y a vécu. Aussi distinctes les unes des autres que les êtres traversant les paysages incertains de ses œuvres, ces maisons incarnent la fixation spatiale, l’ancrage ; le refuge que l’on a dû abandonner et qu’il nous faut retrouver afin de quitter l’errance et habiter le monde.
1 Simultanément à l’exposition chez Piroir, Un monde en soi et quelques autres pièces récentes sont exposées au centre d’artistes en art imprimé Zocalo. Membre associée de Zocalo, Stella Pace y a effectué un séjour de résidence en 2012. Elle a depuis participé à plusieurs expositions collectives du centre, ainsi qu’à deux projets de livres d’artistes.